Publié le 26 mars 2014
Pierrette Daviau, professeure titulaire de théologie pratique à l’Université Saint-Paul d’Ottawa et co-fondatrice du Centre Femmes et traditions Chrétiennes, a réuni douze auteures de disciplines et de religions diverses pour nous inviter à un voyage original et inattendu à la rencontre d’artisanes de paix.
Qu’il s’agisse donc de la jeune luthérienne, Sophie Scholl , « Rose blanche » de la résistance au nazisme, exécutée par la Gestapo en 1943, qu’il s’agisse de la Canadienne, Eva Sanderson, estimant de sa responsabilité de s’instruire et de militer pour la paix par des moyens publics, jusqu’à la désobéissance civile, personnelle et collective, et la prise de risques comme personnage politique, interpellant aussi bien son gouvernement que les instances internationales, ce recueil invite à des rencontres stimulantes.
Voici les femmes autochtones du Canada qui, encouragées par un rapport d’Amnesty International sur les nombreuses disparitions et meurtres de femmes, refusent le silence qui entoure cette violence sexuelle et raciale Elles fondent un groupe « Sœurs par l’esprit », lieu de mémoire, de soutien, de commémoration et chaque 4 octobre désormais, sur la colline du Parlement à Ottawa, on commémore leur mémoire, recherchant les disparues, soutenant les familles, diffusant l’histoire de ces filles, femmes et mères assassinées. « Sœurs par l’esprit » s’attache à l’exigence de « raconter » (« restory »), de nommer le legs colonial, de connaître et analyser le passé pour permettre la résilience personnelle et communautaire, « pour guérir un peuple et le reconstruire, en restaurant son identité et sa place dans l’histoire ».
On lira encore le témoignage et l’analyse d’une religieuse espagnole témoin du rôle politique important des femmes chiliennes pendant la dictature de Pinochet (inventant même les concerts publics de casseroles !) et des catholiques soutenant l’émergence de la théologie de la libération. On suivra les efforts de l’ONG Pact-Ottawa et du trio de femmes – deux Libériennes et une Yéménite – qui obtint le Prix Nobel de la Paix en 2011, luttant contre les formes modernes de la traite des femmes et des enfants, trafic international de l’esclavage…
Une autre contribution passionnante est celle de la Communauté internationale Baha’ie dans son rôle éducatif et son engagement civique et politique auprès des Nations Unies pour l’avancement des femmes et l’égalité des hommes et des femmes comme un préalable pour la paix. Préalable déjà instauré dans la vie communautaire spirituelle de ses membres.
Nouvelle rencontre encore avec deux religieuses « fondatrices inspirées », Sr. Cécilia Biye qui regroupe dès 1983 en République Démocratique du Congo les Mama Boboto auxquelles s’adjoignent désormais les pères. Le mouvement, très étendu depuis, s’inscrit dans la culture africaine, au sein des villages et des ethnies, méritant son nom actuel Paix-Justice. Il est largement soutenu par les organisations féminines : les femmes et leurs enfants restant les victimes d’une série impitoyable d’horreurs, d’exactions, de crimes, violences sexuelles tortures et viols. C’est un défi pour les Églises, écrit Pierrette Daviau de savoir les soutenir publiquement. La deuxième religieuse exemplaire, Jeanne Devos, d’une congrégation flamande, a pris cause pour la défense des travailleuses domestiques en Inde : femmes et enfants de castes intouchables ou au ban de la société qui subissent, sous la couverture d’un silence admis, des violences sans nom mais spécifiques, sexuelles et sociétales. Plusieurs mouvements initiés par cette religieuse ont désormais l’appui des instances internationales.
Il n’était pas question de résumer un tel ouvrage, il offre heureusement des renseignements bibliographiques importants. Retenons les axes qu’il propose pour une nouvelle approche globale, personnelle, sociétale, relationnelle d’une construction raisonnée de la paix et de sa dimension de spiritualité bien au-delà des œuvres de secours immédiat et charité, trop naïvement promues… On ne s’enlise pas non plus ici dans l’analyse de l’interconnexion des causes de la violence : injustices, pauvreté, conflits et guerre, préjugés… A partir d’expériences vécues, la construction de la paix est présentée, selon les travaux de John-Paul Lederach, comme « la mise en relations de personnes de différents horizons, différents types de processus et d’activités qui de prime abord ne sont pas reliés. … » Il s’agit de repérer et faire entrer en jeu les niveaux (personnel, relationnel, social et structurel) de transformation ; on évaluera l’interaction, la solidarité entre les acteurs et la façon dont les personnes qu’il faut défendre sont représentées auprès de leurs « opposants » (au sens large : employeurs, gouvernements et société)… Au niveau personnel les changements s’opèrent sur le plan des connaissances, de l’estime et de la vision de soi, ainsi que des nouvelles attitudes à adopter devant les autres… On est loin alors de cette attitude qui consiste à se satisfaire d’aider « des victimes » en leur offrant la compassion alors qu’il s’agit de reconnaître leur dignité et de les inviter et habiliter à leur propre pouvoir d’action (« empowerment »).
Il faudra lire encore, toujours en référence à Lederach, tout ce qui touche au rôle de la créativité, de l’art, et de l’espoir dans les réponses spirituelles qui s’opposent à la violence. Pour terminer, la présentation nous est faite de Catherine Garet œuvrant pour la construction de la paix avec soi-même. Elle-même, scientifique de haut niveau, était anorexique. Elle a pris l’initiative de lancer un large appel, par simple voie de presse, auprès de personnes anorexiques pour qu’elles présentent elles-mêmes leur histoire. A partir de là, elle a montré que l’anorexie, ainsi que d’autres troubles alimentaires en grande expansion actuelle « était un moyen de survivre à un traumatisme (abus sexuel ou physiques, deuils, séparation etc…), une façon de contrôler la vie et le sens que prend celle-ci devant l’absurdité d’évènements difficiles. » Mais les récits insistaient aussi sur une quête éperdue de sens. Garet engagea alors la recherche de nouveaux processus de guérison qui prennent en compte les violences subies et invitent à une approche spirituelle comprise, au sens large, comme une union entre le corps et la quête de sens, entre l’individu et son contexte social.
A raison, Pierrette Daviau conclut donc cet ouvrage en plaidant pour une visibilité plus grande des initiatives et apprentissages de paix ainsi que pour une coopération réelle entre tous les acteurs qui peuvent s’y employer aux différents niveaux personnels et structurels. Sans faire une part trop idéale aux talents des artisanes de paix, elle rappelle plusieurs prises de position du Secrétaire Général des Nations-Unies, Kofi Anan, dans son rapport sur les femmes, la paix et la sécurité en 2012 : « Nous ne pouvons plus dévaloriser les contributions des femmes et des filles à toutes les étapes du règlement des conflits, du rétablissement de la paix, de la consolidation de la paix et du maintien de la paix ou de la reconstruction. Une paix durable ne pourra régner sans la pleine et égale participation des femmes et des hommes ».
Femmes artisanes de paix, des profils à découvrir, Sous la direction de Pierrette Daviau, Montréal : Ed. Médiaspaul, 2013, 285 p.
Recension par Marie-Thérèse van Lunen Chenu
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